Lire un document numérique – Thierry Baccino (Laboratoire LUTIN)
Suite du compte-rendu, assuré en binôme avec Gaël, des Journées Couperin sur le livre électronique, qui se sont déroulées à Lille, les 17 et 18 mai.
Thierry Baccino est professeur de psychologie cognitive et ergonomique, directeur scientifique du LUTIN et auteur de La lecture électronique (2004, Presses universitaires de Grenoble). Il travaille depuis environ 20 ans sur la lecture électronique, sur la lecture dans le passage du livre imprimé (écriture continue sur codex, parchemin) au livre typographié et sur écran (écriture segmentée). Lors de ces mutations, le lecteur, lui, n’a pas forcément changé.
La multitude d’informations caractérise ces dernières années : comment accéder à l’information de manière pertinente ? comment le lecteur s’adapte-t-il ? la recherche de l’immédiateté et de l’efficacité de l’information semblent être la norme actuelle.
Les psychologues recherchent les traces de la pensée, à la même manière des archéologues.
La comparaison entre la lecture d’une page du site web Science et vie (écrémage : lecture des titres/sous-titres) et d’un article papier des années 70 de la même revue (lecture continue) montre la différence des pratiques de lecture. Il n’en saurait être autrement compte tenu de la divergence des structures des exemples présentés (page d’accueil d’un site web vs article de vulgarisation scientifique dans une mise en page austère)
Il existe deux types de lecture : la lecture qui nécessite l’assimilation du contenu (article) et la lecture qui nécessite une attention soutenue (lecture d’une page web). Il n’est pas évident pour le cerveau d’analyser cela (problème du déficit de compréhension).
Entre papier et écran, les principales différences techniques sont :
– papier : lumière naturelle, page à page, linéaire, texte/image
– écran : rétro-éclairage (principale source d’inconfort visuel), scrolling, non linéaire, texte/image/sons/vidéo
Il existe également des différences individuelles, notamment dans la rapidité de la lecture (lecteur rapide : 500 mots/min ; lecteur lent <100 mots/min). Sur écran, le nombre de lecteurs lents augmentent.
Le processus de lecture se compose de 3 étapes : détection des lettres (visibilité), l’identification des mots (discriminabilité) et la compréhension des mots (intégration).
Nous fixons seulement 4 lettres d’un mot (vision fovéale). L’empan visuel est la fenêtre autour de ces 4 lettres (la position de la fenêtre par rapport aux 4 lettres dépend du sens de la lecture, plus large à droite lorsqu’on lit de gauche à droite et plus large à gauche lorsqu’on lit de droite à gauche).
Sur écran, l’empan visuel diminue en fonction du contraste du texte, de l’espacement inter-caractère ou de l’emploi de colonnes réduites. Lorsque l’empan visuel est diminué, l’attention visuelle qui guide le regard est perturbée. Notre attention n’est pas localisée au même endroit que notre vision.
Règle générale dans le processus de lecture : le lecteur fixe le centre du mot (sinon prise d’information dégradée car multiplication des prises d’information).
Le scrolling : le déplacement des mots perturbe la mémoire spatiale des mots (se souvenir de la place des mots ou de l’info dans la page). Le scrolling constitue un élément négatif dans la prise d’information.
Au niveau de la compréhension, l’hypertexte met le lecteur dans la position de l’auteur. En fait, il est beaucoup plus difficile de choisir soi-même le chemin de lecture (avantage pour le papier) : désorientation, difficulté à lier les informations entre elles, difficulté de mémorisation.
Les liseuses disposent d’avantages indéniables (lisible en lumière naturelle, accessibilité, nomadisme, réalité augmentée) mais pâtissent encore de certains inconvénients (qualité du blanc, pas de couleurs pour le moment, lenteur du changement de page).
[Ces conclusions sont néanmoins remises en cause par l’arrivée de nouvelles machines censées marquer une tendance lourde dans l’industrie des « tablettes de lecture » (Ipad notamment)] (note du blogueur)
La lecture a évolué, l’Homme ne s’adapte pas aussi vite, il n’est adaptable que dans une certaine limite (oeil, mémoire).
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23 mai 2010 à 20:56Cactus Acide » Veille » Christine veille pour vous – le 21/5/10
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